Voies d'eau - le bout du tunnel ou la tour de Babel?
Non je ne vais pas te faire passer sous les tunnels du canal de la Villette, bien que ...faudra que j'y retourne ! Mais les photos,
c'est comme dans le métro un jour de panne EDF : « noir c'est noir ! Il te reste l'espoir ! »
Je te rappelle une fois encore, que ça fait vingt quatre ans que j'ai de l'eau chez moi. C'est tellement de notoriété publique que mon séjour
est une piscine, qu'une voisine m'appelle ce matin : « J'ai fait venir un expert ; j'ai des infiltrations dans ma chambre à coucher, est-ce que ça ne viendrait pas de votre séjour
qui déborde ? » T'imagines, mon séjour au 10éme qui se déverse dans la chambre de la brave dame du deuxième étage. Bonjour la cataracte ! Tu vois, à force de te plaindre et
d'essayer d'expliquer, t'en as juste rajouté à ta mauvaise réputation !
Je t'ai parlé de ces deux ouvriers portugais, qui avaient sonné à ma porte pour l'étanchéité de la façade.(Sur les toits de Paris). En une journée ils abattent un boulot monstre. L'ancien crépi
est arraché, offrant le triste spectacle des cicatrices d'un mur qui en a trop vu, nourri dès son plus jeune âge au ciment 0%, son vieux squelette de fer à béton, jaillit comme un moignon
après un carnage. Le crépi de façade tenait tout. Dès lors qu'il perd sa peau tu penses qu'il ne restera que du sable !
Tu fais le point le soir, c'était un vendredi : « on revient lundi pas de problème, retirez l'échelle pour le week-end, et
remettez-la lundi. »
Il y avait plus d'un mois que tu avais fait déposer tes volets, pour qu'ils puissent refaire la façade. T'avais négocié çà difficilement,
avec l'entreprise qui te les avait vendus et installés : « nous, on n'y est pour rien, notre travail est bien fait, si on dépose les volets on n'est pas sur de pouvoir les remonter, on
n'est pas responsable, signez une décharge, voilà notre devis. » Presque le prix du neuf ! Donc au mois d'avril on appelle, le technicien envoyé est tout jeune, il te dira plus tard
qu'il à 25 ans. Effaçant son épaule, il fait glisser la courroie d'une énorme sacoche qu'il porte en bandoulière, quand elle heurte le parquet tu sursautes, moins par le bruit que par les
vibrations projetées. Là tu te dis qu'il y a un trou sous l'impact et que ça risque de vidanger tes fuites d'un coup. T'es près à crier « timber » pour te dédouaner, s'il y a un
noyé.
Le gars est costaud, plus d'un mètre quatre vingt, « des biceps plein les manches ». Il manie le cutter comme un
Samouraï son sabre. Et là, c'est la mise à mort ! Un combat impitoyable ! Les joints de silicone tombent un à un sur le rebord des fenêtres, comme des spaghettis trop cuits. Il
frappe de haut en bas, de bas en haut, de gauche à droite, il casse les lames, change les lames, serre les lames, et abat tous les joints. D'un simple coup de pouce la lame se rentre et le
couteau est dans la poche. Tu te dis que c'est le moment : « voulez-vous un café ? - Non ! Pas le temps ! » Il plonge dans la sacoche et sort son six
coups : énorme visseuse - dévisseuse sur batterie. Les premières vis ne résistent pas et tombent au fur et à mesure de la bataille. Mais la vieille garde toute rouillée ne se rend pas, et
les têtes tombent sous les coups rageurs de la dévisseuse aveugle. Alors il agite les coulisses, dégage les corps des vis guillotinées et les massacre à coup de burin. Puis il fait basculer
tranquillement le volet suspendu au bout des coulisses et le dépose sur le balcon. D'un geste sec il dégage les coulisse, comme un laborantin sectionne les cuisses d'une grenouille, les allonge
près du corps du volet et recouvre le tout, d'un linceul en sac à gravas. Dix minutes pour finir et il est parti, sa besace de 50 kg en bandoulière qui voltige d'une cloison à l'autre,
balancée par sa course de repli. Il n'a rien d'un St Nicolas, pressé dans ses visites, non c'est le dernier cri des menuisiers polonais, façon « terminator », exécuteur des
petits et grands services. Quand il reviendra reposer les volets, il boira un verre d'eau.
Conforté par toutes ces bonnes volontés, tu te dis que ta maison va sécher, et qu'il est temps de refaire les peintures intérieures, murs et
plafond. Jusque là, c'est toi qui as toujours fait. Pas toujours de façon irréprochable, mais c'était propre, sans trop de dégâts collatéraux. Là, vu les crevasses en haut et les boursouflures en
bas, tu te dis, que si c'est toi qui redresses la surface, les montres molles de Dali paraitront vertigineusement rectilignes. Tu fais une enquête de voisinage : « connaissez-vous un
peintre, soigneux, efficace, de confiance ? » Le bouche à oreille te ramène un nom, un téléphone. Tu n'es pas sur ? Mais si voyons ! C'est lui qui a refait la cage d'escalier.
T'appelles, il vient un dimanche. T'es honteux d'avoir dérangé un gars pendant son repos dominical, tu lui dis ce que tu as besoin. Il ne prend pas de notes, regarde tes murs, ton plafond. Il ne
dit rien, sinon « oui...oui ».
- « Vous pouvez le faire ?
- Oui ! Oui.
- C'est que je ne voudrais pas avoir besoin de vider et démonter tous les meubles, j'ai
plus de place !
- Oui ! Ça va aller. Je mettrai des protections.. Qui a fait ça ?
- C'est moi ! Il y très longtemps ; au début c'était juste pour faire propre
rapidement, puis c'est resté, maintenant on veut refaire.
- C'est raté et c'est pas beau, on ne fait pas comme ça, il y a des
techniques !
- D'accord ! Pouvez vous m'adresser un devis ?
- Vous l'aurez lundi. »
Lundi, mardi, mercredi passent. Pas de nouvelles. T'oses pas déranger ce seigneur des pinceaux, mais quand même, devant les boites aux
lettres, tu en parles à ce voisin qui te l'a recommandé.
- Ah ! Ben il est chez moi !
- C'est samedi ?
- Il fait des « extras » !
- Je peux monter ?
-
- Bonjour, vous m'avez oublié ?
- Non ! C'est le fils, il est jeune, quand je rentre, il joue avec le téléphone, il a
effacé tous les numéros.
- ?
- Mais, le devis, le planning ?
- Tout va bien, j'en ai pour trois quatre jours, redonne-moi ton téléphone.
Le lendemain dimanche tu reçois le devis et début des travaux le mercredi 21. Tout baigne. Tu auras un peintre marocain.
Ca baigne tellement qu'il pleut comme jamais. Sans volets, sans étanchéité, les bourrasques te font relever la nuit, t'as pas besoin de
baguette de sourcier, l'eau est là, tu la sens partout sous tes pieds et même dans l'air que tu respires. Au petit matin tu cherches à joindre tes jeunes artistes portugais. T'avais enregistré un
numéro, mais tu ne sais pas... Tous les jours pendant une semaine tu mets l'échelle le matin et tu l'enlèves le soir. Que faire ? T'as plein de choses qui s'impatientent, mais s'ils viennent
et que tu n'es pas là ? Tu renvoies des messages sur répondeur à la société, et un jour cet appel :
- Il pleut! on ne peut pas travailler
- Oui, mais il pleut, et je n'ai plus d'étanchéité
- Si on travaille, on va tout abimer, car c'est des produits à l'eau !
Tu mets la main sur les murs humides et tu angoisses que le peintre puisse lâcher. Bon c'est demain.
Rien !
Téléphone : rien de rien...
Encore une journée gâchée par la pluie et cette attente...
T'as usé ton forfait à courir après les fantômes, tu sors, et bingo, qui fume sa cloppe à l'entrée de l'immeuble ? Ton peintre
marocain !
- Mais je vous attends depuis deux jours ! Je cherche à vous joindre !
Impossible !
- Attends, je travaille la semaine, je fais des extras en fin de semaines. Donc je suis chez
toi samedi. Aujourd'hui je refais un mur de l'escalier A, à cause de la fuite chez madame M.
- Mais je vous ai appelé dix fois, mis trois SMS, pourquoi vous ne m'avez pas
répondu ?
- On m'a volé mon téléphone...
Puis tout d'un coup en une semaine tout va se bousculer, les maçons portugais refont la façade en une matinée. Ton mur est repeint à neuf par
ton peintre marocain et un gars de son village. Et quand le terminator polonais vient pour te réinstaller les volets tu frémis: dans le même mouvement il ballade sa besace de 50 kg et une immense
poubelle noire qui lui sert de caisse à outils pour les trucs encombrants. Ça vole partout : ta façade neuve, tes murs neufs ça craint...
Tout baigne. Sauf la peinture qui cloque déjà...
Combien de jours de serpillères et combiens de filtres d'aspirateurs ? On ne compte plus !
Là, tu comprends pourquoi on a foiré la tour de Babel, chacun travaille dans son coin et avec ses règles. Qu'est ce qu'un Dieu aurait pu
faire de plus que moi ?