Est-ce que tu n’as jamais eu de fascination pour les moulins,
ressenti une émotion à écouter le bruit continu de l’eau près de toi ? Il y a des années je rêvais d’un petit coin dans les Pyrénées. Comme ça, j’achète « Le particulier » et je
tombe sur une annonce à Lys. Un moulin faisant gîte. Je me mets à gamberger. L’annonce précisait que le mécanisme de régulation d’eau fonctionnait. Des mois plus tard on prend des vacances dans
la région et décide d’aller voir le site de l’annonce. C’était un mois de mars, il faisait froid, et j’ai eu un mal fou à comprendre la carte pour trouver le village. On descend une colline
avec un petit chemin tout raide et des virages en dévers. Il y a encore de la neige. En haut, on voit le soleil. En bas il n'y a que le ciel bleu et froid de l’hiver; le soleil est caché par les
montagnes. On descend encore et très à l’écart du village, le gîte est là, ou plutôt le moulin. Des gens vivent là et je ne vais pas aller frapper au carreau pour savoir si c’est toujours à
vendre, mais je fais le tour. La maison enjambe le ruisseau, un peu au-dessus une énorme vanne. Le bruit de l’eau qui courre. Mais il y fait encore plus sombre qu’au cœur du village. Tu regardes
la petite maison annexe où figure l’inscription « gîte », la petite courette pavée de dalles grossières, tu comprends que tu n’es pas fait pour vivre là. T’as besoin de trop de confort.
Quand même tu repasses, tu refais le tour, tu parcourres le village, tu n’as même pas vu de boulanger. Bientôt cinq heures, il fait presque nuit. Tu repars, remontes les longs lacets et tu te
rends compte qu’il te faut vingt minutes pour trouver la grande route, et combien pour la ville proche ?
Tu abandonnes ton rêve le cœur un peu serré. La vie tue le rêve…
A huit heures le brouillard est partout. Cinq degrés. Il ne pleut pas et c’est la seule chose qui compte. J’aurais voulu attendre le soleil, mais j’avais vraiment envie de revoir ce moulin où j’étais passé l’année dernière. Oh ! Pas le moulin de Lys ! Un autre où j’étais arrivé en me cognant dans tous les chemins en impasse. C’est l’avantage du VTT, tu peux aller partout ! Il n’y a que les chiens en liberté au bout de certaines fermes en cul de sac qui te font peur. Ton talon a déjà senti le bout des dents. L’année dernière, la pluie m’avait attrapé, et les photos n’étaient pas « pêchues ». Je mets le gros appareil dans le sac à dos, j’ajoute un maillot et bien au chaud, je démarre doucement. Je n’avais pas fait attention, mais le sac chargé et le pull en plus, je sens l’épaule dans la cote d’Arbouet. En même temps que je montais, le brouillard se levait. Quand j’arrive place de l’église, il fait beau soleil. J’enlève le pull et règle la bretelle. Trois photos. L’église n’est pas exceptionnelle mais elle est immense au milieu d’un village aussi petit. A deux cent mètres, la tranchée d’Arbouet. C’est le passage d’une ligne de train désaffectée. C’est un de mes lieux de rando VTT préférés. Tout ce travail pour faire passer le train, et aujourd’hui rien. La SNCF n’arrive même pas à vendre pour le franc symbolique la tranchée. Pas de tourisme possible. L’abandon ! Au grand dame des riverains qui doivent malgré tout défricher pour ne pas être envahis. Comme je fais des photos à chaque passage, des gens me parlent…
Le soleil nettoie à peine le brouillard. Mais l’air est transparent : Une lumière superbe. Je me relance. Moins de cinq kilomètres pour « mon moulin » ; J’avais regardé la carte, et je ne pensais pas me perdre encore, bon cinq minutes c’est rien ! Je me rappelais un passage boueux, ce n’était pas le bon. A l’entrée du bois, le voilà, avec sa grande allée et son petit pont. Et le bruit de l’eau. Il est un peu plus de onze heures, le soleil est parfait, il traverse le bois depuis la colline en face et éclaire le site comme je ne l’avais pas vu. Je pose le vélo, prend l’appareil et visite d’un bout à l’autre. Je n’ai vu personne. Les volets sont ouverts. Mais je ne rencontre personne, même pas un chien. C’est solitaire. Pendant la petite demi-heure où je reste là, seulement une voiture passera. J’avais laissé une ferme à un petit kilomètre et le village de Rivareyte est plus loin de l’autre coté du bois en allant vers Sauveterre. Il s’agit d’un vraiment gros moulin. Bien entretenu. L’eau brille sous le soleil, et elle a son chant si moqueur en cascadant du barrage vers les méandres du sous bois. Tu ne peux t’empêcher de la suivre. Ce long serpent sous les arbres c’est ta sirène. Le murmure obsédant de l’eau qui s’étire et se contorsionne pour te séduire dans le scintillement de la lumière hachée par les arbres nus. Assis sur le caillou tu sais que si tu fermes les yeux tu ne repartiras pas.
Tu remets ton casque, ton sac à dos, enlèves les feuilles colées sous tes chaussures et tu t’apprêtes à laisser là cette oasis du rêve. Un peu plus haut une dernière photo
. Tu sais qu’elle ne rendra pas, mais tu ne peux t’arracher. Une petite cote et tu descends. C’est le pont sur le « Saison » à l’entrée de Rivareyte. Deux maisons traditionnelles
l’encadrent.. Tu regardes ta montre et te dit qu’il va falloir rentrer. Tu retrouves la route de Navarrenx et te diriges vers Sauveterre. Tu y es déjà passé deux fois cette semaine, tu penses
rentrer direct, sans y monter. Mais c’est mal connaître les sortilèges de la lumière. Au-dessus de ton casque tu vois la vieille église et les remparts briller. T’es pas à dix kilomètres près.
Des photos du pont sur le gave. Des photos depuis le pont de la légende. Et là encore la fascination de l’eau. Cinq minutes sur le parapet. Quelle heure ? Ouf ! Téléphoner, dire qu’on
va rentrer. Moins d’une heure et on est là.
Ce coup ci pas de tergiversation, tu prends la
nationale. C’est samedi, il est une heure, ce sera tranquille. Tu bloques les suspensions et tu te muscles les cuisses. Coup de pot, pas de vent de face comme trop souvent. T’appuies. De
toute façon, tu ne sens rien, t’es dans ton rêve de moulin, tu n’entends pas les autos, juste le fil de l’eau. Tu flottes, t’es léger, fluide…