Argentine (7)
Fortunato de Humahuaca
Je t'ai montré le monument aux héros de l'indépendance. Mais en revisitant mes notes, écoutant dans le calme (j'ai du le faire une dizaine de fois) le discours en français de Fortunato Ramos, relisant ses poèmes, je suis encore frustré ! Comme je ne comprends pas l'Espagnol et que je suis concentré sur ma prise de vue ( des moqueurs diront un peu coincé), je n'avais « imprimé » dans ma cervelle rebelle que quelques images sur son passage en France, et qu'il était instituteur.
Quand tu regardes l'immense statue de L'Indien surmontant le monument de l'indépendance, que tu vois l'homme en face de toi, tout d'un coup tu réalises que le héro est là, devant toi, acceptant de signer disque et livre « affectueusement », alors que tu l'as matraqué pendant une plompe avec ta technologie.
Je devais être si visiblement lourdingue, qu'il vient un instant vers moi et me tend un livre, qu'il ouvre à une page et me dit quelques mots en espagnol. Tu me connais, tu sais comment je comprends vite tout de travers, et au lieu de lire un peu simplement le titre d'un poème en haut de la page, je me mets à le lire, à ma façon. La guide m'arrête et Fortunato commence dans sa langue. Tu te sens vraiment con de n'avoir pas compris le génie de l'autre. Car il est là, présent, incarné. Quand tu suis le récit, lui dans sa langue, moi dans la traduction, l'émotion t'étreint, les larmes te viennent. Pas de misérabilisme, non ! la simplicité, la beauté, la vie rude du petit enfant jeune berger, et déjà « Homme ». La voix présente, sans être poussée, fait vibrer l'espace et transmet des images qu'aucune technologie ne saura saisir. Rappelles toi, certaines complaintes des montagnes Pyrénéennes ou Basques. Ou simplement les petites chansons qu'on fredonne ensemble, un soir, autour d'un feu, allongés ou assis dans l'herbe jeune, à la fin juin dans la douceur du soir.
« Je n'ai jamais été enfant »
Mon sourire est sec, et mon visage sérieux,
Mes épaules larges, mes muscles sont durs,
Mes mains gelées par le froid cruel,
Je n'ai que huit ans, mais je ne suis pas un enfant,
Derrière mes brebis, je marche par la montagne
Et chargé de bois je descends jusqu'à mon refuge
Pour attiser le feu, et tresser ma corde,
Et je n'ai pas le temps pour être un enfant.
...
C'est la traduction des premières lignes de son poème : « Yo nunca fui niño » (traduction de Maria de Las Mecedes Pagano) .
Le « descendant » des Omaguacas, l'instituteur qui enseigne la tradition et l'innovation, qui parcourt les villages entre 5000 et 3000m des pré-Andes, puise dans les profondeurs de son âme les vibrations qu'il restitue à l'extrémité de son « Erque », telles que la tienne résonne et se gonfle. Le talent de l'Artiste a transformé ce qui aurait pu devenir un voyage fatiguant en un de ces courts moments de bonheur, qui te donnent décidemment envie de revenir.
Je ne sais pas si il y a des disques en France, j'en ai acheté un là bas. C'est bien plus que la musique traditionnelle des Andes. Paradoxalement, la profondeur du « Erque » rejoint celle des trompes des moines tibétains qui étaient passés aux « Bouffes du Nord » il y a quelques années. Et ce n'est pas que du surf sur les événements d'aujourd'hui. Le petit livré acheté là bas : « Collas de la Quebrada de Humahuaca », est une perle rare.
Encore merci Fortunato Ramos.