19 septembre 2007 3 19 /09 /septembre /2007 23:00
Entre Bercy et BNF


Bercy, le 11 septembre 2007.

33-pont-de-bercy.jpg
 

J’avais passé deux semaines de vacances en laissant le hall de notre immeuble envahi par des vieux matelas, des canapés, utilisés la nuit par des sans abris. A notre retour des grilles étaient installées qui semblaient avoir eu un petit effet dissuasif. Comme si les grilles étaient une réponse à la misère ! Ou une défense contre elle. Mes ballades le long du canal de la Villette et du canal de l’Ourcq montrent de nouveaux squats et bidonvilles. Sur les trois petits squares du quartier, un seul vit. Des dizaines d’enfants y jouent avec autant (et peut être un peu plus) d’hommes et de femmes qui s’émerveillent de leurs jeux. Tout est cris, exclamations, attention. Les deux autres sont tacitement dévolus aux SDF locaux.

 
Des fois çà t’étouffe un peu.
 
Y a-t-il une lumière quelque part ?
 

J’entends à la radio que « La Boudeuse » s’est installée au pont de Bercy. Pour moi Bercy, c’était resté la Halle aux vins, et j’en gardais le souvenir des entrepôts du « Postillon », tu sais, le vin en litre « étoilé ». Avant les AOC.

 

En bagnole, j’y étais sûrement passé pas loin, mais quand tu conduis, tu ne vois rien. Là, j’y vais à pied. Je découvre. De l’espace, des petits jardins entretenus, une circulation pépère. Les quais sont propres. Pas un clodo en 3 heures de trottoir, pas une merde de chien, tu n’y crois pas. Mais il n’y a personne non plus. Quelques badauds, comme moi, regardent tronçonner les platanes, ou font des photos, de la vidéo. « La Boudeuse » et la passerelle Simone de Beauvoir attirent des petits groupes de quatre cinq. La lumière est là, tout le monde s’extasie sur la vue d’ensemble, questionne sur ce qu’on aime, peut voir. Tu peux parler une demi-heure comme ça, accoudé à regarder la Seine…

 

Un pousseur de péniche se fait entendre, on le laisse passer, il n’y a pas de bagnoles, tu entends un pas sur le dallage de pierres blanches à des centaines de mètres.

 

L’esplanade devant la BNF est vide aussi. Très loin un petit groupe de jeunes s’agite, hurle quelques blagues et disparaît dans une des tours.

 

29-petit-bateau-fait-le-poutou.jpgMidi s’annonce. Sur les quais des péniches réhabilitées façon putes, font restaurant. De grands chapiteaux sont tendus, prêts à accueillir des affamés. Mais rien, ou si peu. Là, un grand brun en costume noir gicle d’un coup de son coupé gris, et en quelques pas bien allongés, va à la rencontre d’une jeune femme qui descend les marches vers le quai. Un immense platane les abrite des regards.

 

Laissant la passerelle et remontant vers le pont de Bercy, je dépasse la piscine flottante. Une zone de cabines, une verrière de protection, derrière, une dizaine de « pingouins » est là, à profiter du soleil de cette belle journée. Les tables sous les parasols pliés sont tristement désertes…

 

De l’autre coté du pont, en face du ministère, le palais omnisports. Je n‘y suis jamais allé. Bientôt treize heures. Toutes les terrasses de la place sont prises d’assaut. Longue file d’attente devant les échoppes de paninis ou de kebab. Et juste là, une place, pour un petit sandwich et une bière.

 

Trois tables plus loin une femme que je ne vois que de trois quarts dos, tend son micro à un grand type, cool, les bras croisés, qui parle tranquillement. Régulièrement, elle baisse la tête vers son magnétophone et ajuste le niveau. A son tour elle questionne, lisant des notes dans un petit cahier. L’homme apprécie, il sourit, écarte les bras comme pour accueillir sa question ou son commentaire, son visage s’éclaircit, il s'appuye sur le dossier de sa chaise, le visage s'anime, il entame une longue réponse. Tranquillement, il déplie ses bras, étale ses mains sur ses cuisses, détend ses jambes et enchaîne… L’intervieweuse, le magnéto en équilibre sur ses genoux croisés, le corps légèrement penché en oblique au-dessus la table, le bras toujours tendu, pointe le micro France-Inter. Le dos se raidit, sa main libre le soutient, les épaules montent puis redescendent. Toujours, elle hoche la tête avec conviction pendant le discours de son invité.

 

Je la regarde mieux. Elle a une jolie nuque qui se courbe régulièrement au gré de l’entretien, la tête suit, acquiesçant, donnant un mouvement de balancier à sa petite queue de cheval serrée par un élastique. Un châtain clair, mais ordinaire, sans mèches. Je vois aussi son pied gauche. La jambe coincée sous le magnétophone est prisonnière. Le pied s’agite cherchant un espace pour exister. La cheville est fine l’articulation souple, et mon regard va et vient entre cette nuque qui se berce au gré des phrases et ce pied qui danse seul ou en contre-point des mouvements de tête. Ou trouve-t-elle l’énergie ?

 
Moi, j’en suis à trois quarts d’heure, et eux ?
 

Le corps qui lentement s’arrondissait, mais sans s’avachir, tout d’un coup se cabre, un arc se tend. La main gauche tourne les pages du cahier, elle reprend le micro à son compte. L’arc se cintre un peu, elle parle. La main lâche les feuillets, et dans le même mouvement ou le micro, retourne vers l’invité, le poing gauche se serre et creuse dans le dos une cavité profonde. Là, je ne vois plus que trois points : le creux des reins crispé sur le poing, la nuque raidie qui tangue, et le pied qui lance des éclairs d'impuissance.

 

Qui est-il pour maltraiter cette femme uniquement par le pouvoir de ce qu’il représente ? J’essaye de le reconnaître. Rien. Pourtant, je fais défiler mon petit annuaire anthropométrique construit à la télé. Rien. Il est grand. Même assis. Pour moi, tout gus d’un mètre quatre-vingt est grand. Jean et polo, pas de frime. Visage plutôt rond, petit menton et pommettes gourmandes. Le corps presque allongé est tourné vers le pont, la tête s’incline vers le micro brandi par la femme. A aucun moment l’entretien ne l’a tendu, il reste posé, attentif aux questions. Il parle naturellement, droit devant lui, mais  trouve à chaque regard l’approbation de son hôte. L’œil pétille, il est tranquille, sans suffisance , surement simplement heureux.

 

Arrive une nouvelle vague de managers sérieux. Costumes sombres, bleus ou gris. Le serveur les a vus. La carte est là, la suggestion rapide, et le service ira de même. Pichets de vin et « San-pé », discussions sur un business obscur pour moi, mais important pour eux.

 

 Ma bière est finie, là bas l’interview continue, mais j’ai perdu le fil de mes pensées. Je m’extrais de mon coin.

 

J’avais vu des gens s’agiter sur le toit du POPB. J’y fais un petit tour, découvre les varappeurs déguisés en laveurs de carreaux, la tonte des pelouses en pente. Là, je comprends que l’architecte avait forcément des accointances avec des potes alpinistes…. Et dans un coin, bien à l’abris des regards, des clodos rigolards !

 
Retour aux sources! Il y en a, mais planqués.
 

Pourquoi, les sans abris s’installent-ils plus facilement sur les quais du canal entre Villette et Bobigny ? Laissant libres et propres les quais de Seine entre Bercy et la BNF. Ils y a pourtant de la place, au soleil, entre les temples dédiés au fric et aux livres. Si l’espace y est si vide, c’est que la vie des sans rien n’y a pas de place. Pas de palissades, pas de matériaux de récup pour se mettre à l’abri, pas de foule pour exister.

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commentaires

L
Tout avait l'air bien calme en ce 11 septembre anniversaire d'Edith et la scène croquée de l'interview trés vivante.Ah les jeunes femmes et leur jeu de jambes et de cou. Ouh, Ouh, Interview séduction.
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