Confus le titre non ?
En plus la photo ? Quel rapport ?
MOI !
T’as pas besoin de gueuler avec tes majuscules !
Merde !
T’es dingue ou quoi !
On t’entend à l’autre bout du monde !
Eh ben quoi ! Ça va pas rendre sourd un chinois !
Quand même, sur internet fais gaffe, tout est lu…
Retour aux grandes oreilles du passé…
T’es au-delà du passé, dans le futur impossible.
Pas compris !
M’en fout !
Bientôt treize heures ce samedi.
Tu prépares ton repas, et dans la fenêtre de ta cuisine, la neige devient obsédante. Tu sais tuer le neige. T’es un chasseur
de neige ! Rien qu’une photo, elle meurt !
T’es louf ou quoi ? Tuer la neige ? Ça a pas de sens ?
Rien qu’une photo, sans sens, d’une neige molle qui n’atterrit pas.
La neige refuse d’atterrir ! Figures-toi qu’elle n’aime plus la terre !
çà, çà a du sens ?
Pas de sens ! Cette impression qu’elle hésite, qu’elle ne sait plus où se poser. Elle voudrait bien faire la blanche, la
neige.
Ha ! Ha ! Ha ! Là j’ai compris, Blanche neige ! T’es nul. Bouhouhou …
Mais non ! Comment veux-tu qu’elle tienne ?
Ben on n’a pas besoin qu’elle tienne, c’est pas Courchevel ici, c’est Paris.
Dac ! Mais la neige, c’est pas une calamité, c’est le nettoyage écologique de la vermine, la protection des sols.
En plus elle te renvoie dans ton enfance, celle de la neige libre, qu’il fallait enjamber dans tes petites bottes. Ma mère
racontait comment son papa l’emmenait sur ses épaules pour aller à l’école .
Tu vois ces toits, les enneigés et les autres. Les isolés, les autres qui chauffent la neige.
Bon ta photo là, c’est quoi ?
C’est une rando chamelière qu’on a fait avec ma petite femme en janvier 81. On descendait de l’Assekrem, pour retourner à
Tamanrasset. Pas de 4X4 ! Que de la marche et du chameau ! On dormait direct sur le sol. On avait de bons duvets. Dès huit heures il faisait nuit noire. Le touaregs qui nous
accompagnaient et s’occupaient des chameaux, du feu, de la nourriture, quand tout était calme, ils faisaient le thé. Tu ne vois pas tout, dans le début de la nuit, les quinze du groupe se
serraient près du feu. Là, juste le feu, la marmite de pommes de terre, et puis l’eau qui coule de la gourde en peau de chèvre.
Au matin, il fera moins quinze. Tout sera gelé.
Toute la nuit, bien protégé par ton duvet, le capuchon au raz du front, tu verras plus loin que les étoiles. La sensation
fulgurante d’éternité…..
Le bois, plus que l’eau, sera la principale préoccupation de nos guides. Car l’eau les gens d’ici savent la trouver. Le bois
dans ce désert minéral est le bien le plus rare.
Il neige !
Dans ton appart parisien, les flocons te font rêver de la liberté du flocon. Tu ne seras pas manger par le loup ! Vieux
VTTiste! Vielle bique attaché à ton bien, comme à un pieu ! Trop prudent pour tout lâcher, pour cette Ardêche qui t’en a fait trop voir, et que pourtant tu rêves de
dominer.
Vanitas !
Ce 22 juillet, tu veux y
voir clair.
La veille, ta rando sur le GR qui devait te mener à la maladrerie des templiers, t’a laissé sur ta faim. Tes photos des
canotiers heureux te frustrent de ne pouvoir les rejoindre. Ce matin, tu négocies avec ton hôtesse, deux tranches de jambon. Là, tu sais que tu vas croiser cette belle lumineuse mais furtive que
tu ne sais séduire.
L’eau vive !
Neuf heures, petit matin, tu sors le VTT de son abri : crevé !
Commence mal !
C’est curieux, mais aujourd’hui quand tu réfléchis, le ballast, c’est la calamité du VTTiste. La veille tu ne t’étais pas
rendu compte, abruti par la fatigue, que ton pneu était dégonflé. La vie autour de toi roule, tu es là, ta chambre à air noire à la main, sans comprendre d’où vient la fuite.
La fontaine du gîte devant toi, tant pis pou le repas des poissons rouges.
T’es de la vieille école.
Tant de fois piégé par les réparations qui ne tiennent pas, tu sais que tu ne peux tenter ta rando sans tes deux chambres à
air de secours. Le vieux VTTiste est aventureux, surtout dans la course aux belles éphémères, mais prudent. Trois précautions valent mieux qu’une. Ta chambre percée tu la plonges dans l’eau noire
de la fontaine, les poissons rouges se cachent sous les herbes du bassin. Tu ne confondras pas les bulles. Ta précipitation te coutera une deuxième réparation, il faut un certain temps pour la
vulcanisation. Comme disait mon vieux Fernand Raynaud, ça dépend du temps…
Bis repetita ;
Il est passé dix heures quand tu te mets en route. Ton sandwich va être chaud avant ta première suée. Tu prends la route du
Garn. Des barrages en interdissent l’accès. Goudron neuf. Deux touristes te dépassent. Tu hésitais sur le goudron fumant. Çà ramasse tout et après, çà crève. Tu tâtes du bout de tes chaussures,
pas si chaud, même si çà fume encore : ils arrosent.
Tu te relances. Un petit kilomètre tu rejoins la femme. Tee shirt jaune, short blanc et tongs aux pieds. Cinq cent mètre
devant l’homme qui marquait un tempo énergique stoppe. Il oblique sa bécane et regarde derrière. Sa femme – ou compagne, qu’en sais-je ? – s’arqueboute. La côte n’est pas si terrible, même
s’il ne faut pas la dédaigner. Petit respect. Concentration. Action au pédalier.
T’est une vieille carcasse, vieux VTTiste, il te faut des km pour que l’énergie soit là. Quand tu passes à coté de la femme,
une quarantaine pleine de vie, t’as remarqué depuis longtemps la crispation qui lui noue le mollet. La voute du pied cambrée sur la pédale : Deux ou trois km çà va, mais là c’est
trop cruel ! Dans l’instant tu flashes sur les tongs.
Tu y vas de ta ritournelle : Madame, joli coup de pédale, mais vous vous épuisez, il faut une semelle rigide pour des
cotes pareilles. Des tongs c’est un supplice !
J’te dirai pas la réponse. T’imagines bien, si je t’avais dit que t’es mal sapé !
Je passe.
Ma route va viser « Terre Rouge » puis vers la Flassade. Toujours conquérir cette rive sud des gorges de
l’Ardèche ; un peu plus haut que le chemin de la Maladrerie. T’as beau laisser ta bécane, arquer de toute ton envie de trouver le passage, t’échoueras encore. L’énergie d’un vieux
VTTiste n’es pas renouvelable à la demande. Trop de courses, trop de cotes, trop d’envie et tout d’un coup, la panne. Tu vois bien que devant, tu peux encore y aller, mais là t’es cuit. Le
cœur t’envoie une sarabande, les cuisses sont plus dures qu’un poteau. T’entends les jeunes en bas qui s’agitent, s’exclament. Les arbres qui te cachent la vue comme un paravent se dégage en
voyeur, pour que tu reluques les berges libres des kayakistes.
Toi, vieux VTTiste, tu auscultes ton pouls.
Il est temps que tu rentres
Ce soir la neige ne te décourages pas, à midi elle régnait, maintenant elle fond. Changement de décor.
Le vieux VTTiste a cuit ses pains de seigle. Il prépare sa brioche, pour les enfants, demain.
La vie prend du temps. Pendant que ces mots s’écrivent, t’es dans le présent, cuire le repas du jour. Les photos ne
vieilliront pas sur l’écran de ton PC.
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