La première construction du quartier de la Défense.
Le vieux
parigot, à la Défense, entre les souvenirs confus du jeune garçon et les lieux témoins de ce qui va façonner sa personnalité. Le retour en arrière n'est pas de la nostalgie, mais le constat de ce
qui a changé. Ce qui était innovant il y a quarante ans est mort. Le CNIT a été dévitalisé comme une vieille dent creuse, on lui a refait une belle couronne de verre. Séminaires, conférences,
commerces. Plus de technologie, d'industrie, d'innovation, rien que le marketing marchand, inventé ailleurs.
Le CNIT a été construit près d'un rond-point où il y avait la statue à la mémoire de la Défense de Paris (en 1870). Je ne suis pas sûr qu'il n'ait pas été inauguré pour une exposition des Floralies. Avoue que c'est cocasse, que le sigle - Centre des Nouvelles Industries et Technologies- ait pu être accolé à cette exposition florale. En 1958, ce bâtiment était la fierté de notre télévision en 819 lignes et noir et blanc. Une seule chaîne. Elle nous a montré sous tous les angles cette voûte triangulaire autoportante.
La télé était friande des différents salons et expositions qui s'y tenaient. Elle amplifiait l'immense vitrine, valorisait l'innovation, les projets, les réalisations. Elle renvoyait au spectateur, comme dans un miroir, la fierté du travail bien fait, la complexité des études des ingénieurs, les mains intelligentes des techniciens et ouvriers. On n'était pas blasé, mais admiratif, souvent enthousiaste. Un salon, parmi les plus impressionnants, était celui de la « Machine Outil ». L'époque des grandes presses hydrauliques surpuissantes et rapides qui allaient faire le bonheur des constructeurs automobiles. Elles ne pourraient plus être installées dans le CNIT tel qu'il a été refait. La grande dalle qui séparait les niveaux a été démolie.
Les démolitions dans le quartier de la Défense sont aussi nombreuses que les constructions. Au fil des agrandissements et des redistributions de l'espace, des bâtiments, routes, ponts autoroutiers disparaissent. Vers Nanterre, une quatre voies a même été déconstruite sans jamais avoir servi.
Avec le hasard de la vie professionnelle, un de tes premiers jobs était là; après avoir tourné tout autour de Paris, tu la finiras là, encore, plus de trente ans plus tard.
En 1969, donc t'as changé de métier. T'as quitté l'électronique pour l'informatique. Et voilà ton premier SICOB. Ça aussi, un sigle disparu. Salon de l'Industrie et du Commerce de Bureau. Tu n'étais que spectateur. Mais ta vie professionnelle a été scandée par ces expositions : les meilleurs ingénieurs étaient détachés pour préparer les démonstrations informatiques. Les télécommunications sur lignes spécialisées, n'avaient pas toujours la fiabilité de celles que chacun utilise avec ADSL. Le matériel, la technologie avait une place essentielle. Un des premiers clients, installé dans le quartier Nobel, pour gérer une caisse de retraite, l'installation en 1969 comprenait : une unité centrale (l'ordinateur) avec 16 kilo-octets de mémoire, quatre disques durs à commande hydraulique de 10 méga-octets chacun, et 8 dérouleurs de bandes magnétiques. Les chaînes de traitement duraient des heures, et il n'y avait aucune consultation en temps réel d'un compte. Toute l'information était redistribuée par des listings qu'une imprimante de 200kg, martelait à la vitesse de 2400 lignes à la minutes. Encore fallait-il n'utiliser que 48 signes pour atteindre la performance. Tous ces équipements étaient aussi fragiles qu'ils étaient coûteux. Ils occupaient un technicien à tiers de temps. Nuit et jour, bien sûr. Chaque année les prix étaient divisés par deux et les performances multipliées par trois ou cinq. Dur de gérer les investissements. Les premiers micro-processeurs et les mémoires MOS arrivent en 1972, remplaçant les mémoires à tores de ferrite. Le jeune parigot d'alors est fier d'être dans le tourbillon de ces innovations. Après avoir changé de métier, il fallait changer dans ton métier. Les nouveaux ordinateurs étaient fiables, avec des moyens d'auto-détection des pannes. Le risque passait progressivement du matériel, vers les systèmes d'exploitation et les programmes. Encore une adaptation à prendre en charge.
La Défense exprime bien cette évolution des technologies et des métiers. Un équipement rendu obsolète, l'économie le remplace, ou l'adapte. Tu t'es vite rendu compte que toi aussi tu risquais l'obsolescence. L'adaptation permanente, c'était la formation. En 1971, la loi Delors sur la formation continue est une chance pour beaucoup d'entre-nous. L'outil, malheureusement, était plus souvent en retard d'une ou deux technologies, qu'en anticipation des nouvelles. Pourtant c'est en investissant ce métier là que tu t'es maintenu au mieux dans le courant de l'évolution.
Dans ces photos autour du CNIT, les patios à différents niveaux qui s'inscrivent entre les tours. Un semblant d'humanité et de convivialité. Ne rêve pas trop ! Les jours de pluie et de petit vent sont une calamité pour l'employé sortant du RER. Les tours alimentent des courants d'air violents et tourbillonnant. Aucun parapluie ne résiste, et oublie si t'es une femme les talons fins qui se piègent entre les dalles. La tour est un lieu de travail, et son accès reste rugueux !