Manège au cirque d’hiver ou 1er mai sur la place
Rouge ?
Quand tu entends que l’aristocratie
agricole, les céréaliers de Beauce et de Brie vient faire son carrousel de tracteurs à Paris, t’es sur le cul ! De combien a augmenté le pain dans les années 2007-2008 ? Tu sais
plus ? Pourtant c’était la meilleure saison des céréaliers…tous records battus !
Les hommes qui se prêtent à l’interview ont la même expression désespérée que tous ceux que tu avais vus
auparavant : les « Contis », les « Moulinex » et dans les années 80 les métallurgistes lorrains. « Qu’est-ce qu’on va devenir ? On a des traites, on ne
peut plus rembourser ! Vingt ans, (trente ans) qu’on travaille des cinquante heures et plus ! On n’a plus rien à perdre, on se battra jusqu’au désespoir ! »
Les mines, les tissages, les hauts fourneaux, bientôt les chaines de construction de bagnoles, tout doit
disparaître ! L’hydre financière prospère sur la dette. T’as travaillé dans une boite rachetée deux fois de suite en leasing. Les machines commercialisées étaient produites en France. Où
est-elle la production maintenant ? Sur que s’il y avait des machines virtuelles accessibles par internet, il n’y aurait plus de production du tout ! T’es juste salarié que peux-tu
faire ? T’adapter tant que tu peux au changement, ensuite la mise au rebut comme une vieille machine usée…
Les jeunes aujourd’hui, à peine sortis de leur école, d’abord un an de stage, puis on leur demande de se mettre
en statut « auto-entrepreneur » pour pouvoir les employer. T’as un contrat de deux mille ou trois mille euro. Dans deux mois il faut trouver un autre contrat… Te voilà
seul actionnaire de ta petite entreprise, seul manager, seul producteur, seul commercial. Encore faudra que tu sois assez bon pour livrer ta commande… Tu te débrouilles seul pour bosser,
l’URSSAF et les impôts.
Ah ! Les impôts ! C’est par la « menace » de devoir payer des impôts que l’hydre financière
se branche. Par courrier, téléphone et maintenant emails, tu es sollicité. Ton banquier n’est pas le dernier ! « Ah bon ! Vous avez payé des impôts ? Comment vous y êtes vous
pris ? Il faut investir dans les placements défiscalisés, les crédits d’impôts etc… » Tu l’envoies bouler. Plus tard, dans le journal, à la radio, tu lis, entends, ces
gens bien informés qui investissent dans du « Scellier » ou aux Antilles. Pas de locataires ! Les mensualités de remboursements remontent par l’aspirateur
métronomique de la banque. Les autres questions des journalistes :
« Combien ça vous coûte par rapport aux impôts ? »
« Trois fois plus… »
« Et en prime, vous n’en profitez pas !
T’imagines les comptables et autres banquiers, les belles phrases fleuries qu’ils ont étalées devant les
exploitants agricoles quand la récolte était bien payée. La grosse multiplication par la croissance si tu réinvestis et empruntes.
Sauf qu’une économie durable ne peut se construire derrière les prix subventionnés et autres
protections.
Tu manges trois cent grammes de pain par semaine, deux steaks et tranches de jambon par mois. Mais des carottes, des choux, des poireaux et autres légumes plusieurs tous les jours. Sur
que le poireau à 3 € le kg, tu trouves exagéré, mais t’as pas le choix. Ce qui t ‘étonne c’est que des petits pois ou des haricots cultivés en France, t’en trouves pas au marché. L’an
dernier t’étais à Paris tout l’été : que des haricots du Maroc ou du Kenya ! Gamin, t’as cueillis des haricots verts
tous les étés pendant une dizaine d’années, tu sais comme ça produit, que c’est pas compliqué à garder. Mais voilà « on » n’en produit plus…
Ce ballet de mastodontes mécaniques entre la Bastille et République te renvoie à cette contradiction : Ils
produisent des céréales en excédent, donc les prix baissent, et ce qui nous est indispensable pour vivre, pour se nourrir: les légumes basiques, les fruits simples, il faut les faire venir de
deux ou dix mille kilomètres, et c’est hors de prix.
Comme tu évalues la consommation des engins pour cette journée, tu avises des spectateurs souriants agitant des
drapeaux blancs et bleus d’un syndicat agricole.
« Bonjour, ça consomme beaucoup un tracteur comme ça ? »
« Ça dépend, autour de 15 / 20 litres à l’heure. »
« Mais, c’est du gazole détaxé ? »
« Non ! C’est du gazole normal à zéro cinquante le litre. »
Tu viens de faire le plein à un euro vingt ; tu réalises qu’il y a un autre monde, une autre
réalité.
La détresse est réelle, des petits exploitants mise en avant. Quand la presse a publié que la Reine
d’Angleterre est une des premières bénéficiaires de la PAC, t’as compris que pour les petites exploitations, il ne devait pas rester grand chose.
T’es impressionné par l’organisation. Devant le cirque tu te rappelles les ballets de chevaux de la Piste aux
Etoiles, la révérence du percheron gris sous la caresse de la voltigeuse, avant de disparaître derrière le rideau. Pas de fanfare, de sono (tout a été dit à la télé), seulement le
grondement sourd des moteurs. Quant à l’alignement impeccable des engins tu l’as ressenti comme la répétition d’un défilé du 1er mai sur la place Rouge ?