La retraite à soixante ans, c’est ta bataille ! Mais pas la Bérézina !
- Dis, qu’est qui t’arrives, La SNCF, la RATP annoncent la grève reconductible et tu flottes, ou plutôt tu grinces des dents ! Qu’est ce qui va pas ?
- J’suis pas d’accord…
- Toi ! T’es pas d’accord ? C’est le kiné ou le manque de vélo
qui te met dans cet état ? Pas d’accord pour nos retraites, t’abuses des médocs !
- Tu sais, j’suis paumé de chez paumé, t’imagines pas le village ! Qui ça intéresse, ici, la retraite à soixante ans ? Personne ! Dans le journal, rien que des trucs vagues pour ce qui s’est dit ici ou là. Les gens bossent, d’autres chassent la palombe, mais personne ne te parle des retraites. Même tes gosses ! Bon ils sont plus très gosses, ils bossent et cotisent à tout va. Dans leur tête c’est pour toi, pas pour eux.
- Attends, deux puissants syndicats vont planter les transports et créer les conditions de la grève générale ! Et monsieur chochotte !
- Tu cherches quoi là ? Ça fait combien de fois que je te répète que le
problème aujourd’hui, c’est le nombre d’adhérents au syndicat, ceux qui cotisent ! Quand la grève démarre du haut d’une organisation, elle ne va pas loin. C’est facile pour le pouvoir de
décrier une grève politique. Une grève politique, c’est celle qui conteste la légitimité des élus. La grève politique est peu ou prou perçue comme révolutionnaire ou anarchique.
- C’est pas une grève du haut, c’est des mecs conscients qui veulent faire avancer la cause des retraites.
- Facile, eux ils partent à cinquante cinq ans ! Et puis la grève par délégation ou procuration, merci bien ! J’ai connu ça, en soixante seize. Une restructuration, une manœuvre de la direction qui tape sur le cœur sensible, les magasiniers, les techniciens s’enflamment, les commerciaux proposent de cotiser à la caisse de grève, mais vous nous comprenez les gars : notre métier ne permet pas de faire grève….
- Tu nous ennuies avec tes radotages. Qui aurait signé la procuration ? Non c’est des gars qui y croient !
- Ce que je veux te dire, c’est que le moment, il est à tirer le diable par la queue pour s’en sortir. Un boulot même mal payé, qui fait chier et tout, c’est un boulot. Dans trente ans quand il faudra faire le décompte pour sa retraite chacun verra. Les précautionneux, pouvant dégager un petit surplus auront cotisé dans une caisse privée. Pour les autres, trente ans, ils imaginent pas. Ils viennent de trouver un job ou ils sont chomdus… trente ans, c’est leur âge..
- Et toi, t’as jamais eu trente ans, espèce de vieux radoteur pessimiste ?
- Si, mais on était syndiqué, on payait tous les mois la cotisation. A La CFDT, dans les années soixante dix, il y avait même une assurance grève. Dans un métier tu avais plus de cinquante pour cent de personnel qui payait sa cotisation : le timbre ! Alors une fois par mois, il y avait réunion, pas obligatoire, mais on s’y retrouvait régulièrement. Avant de se lancer dans une bagarre, il y avait débat. La grosse grève où t’as été embarqué, il y avait pas eu de discussion, tout s’était joué sur l’émotion d’une énorme provocation de la boite. Aujourd’hui la provoc, c’est le discours du pouvoir élu, ils veulent que ça déraille, ils veulent nous opposer les uns contre les autres.
- Personne ne s’oppose à personne, ou plutôt, tout le monde s’oppose à accepter de reculer l’âge de la retraite. Qu’est ce que tu cherches à tout compliquer ?
- Juste ça : le mouvement n’a pas pris. J’ai suivi des manifs, mais les gus, là, ils avaient pas la rage. Moi, j’étais la, mais presque en spectateur. Plus de photos que de slogans. Tu sais pourquoi ? Trop de monde n’y croit plus. Et tu sais le pourquoi du pourquoi ? Parce que les avantages acquis l’ont été par l’engagement, le besoin irrépressible de conquêtes sociales par nos parents et grands-parents. Eux, ils se sont bagarrés ! C’était leur survie. Même en soixante huit, l’usine était le symbole de l’aliénation ouvrière. Maintenant, il n’y en a plus. Elles sont en Inde ou en Chine.
- A la télé, j’ ai vu des indiens ou des chinois qui se mettent en grève !
- Ouais, un siècle de retard, mais n’oublie pas les moblots qui tiraient, il y a cent ans sur les grévistes. Ils ne sont pas au bout de leur peine… La semaine dernière à la télé t’as vu les infirmières anesthésistes bousculées et gazées à la bombe lacrymo, par les CRS. Elles font pas le poids, seules. Les grévistes en Chine ou en Inde, ils vont vite se faire marcher sur la gueule. Il y avait la télé parce qu’il y avait les grandes marques, qu’elles essayent de se faire une bonne réputation pour la bourse ou les « vilains » n’ont pas la cote. Des révoltes sans issues, il n’y a que ça. En plus, sur que dans leur pays, personne n’en a rien su !
- Tu crois plus à rien ?
- Mais si, mais, c’est comme à la piscine, quand le pouvoir t’enfonce la tête sous l’eau, si tu te débats, tu te noies; laisse toi couler au fond de la piscine, relances toi d’un bon coup de pied, respire et réfléchis. Celui qui t’assène tous ces coups, il veut te châtier, te briser. La thune existe, mais pas pour toi. Si tu cherches à la chourer comme un taureau qui bute obstinément contre la palanquère, t’es naze. Se défendre n’est pas mobilisateur si ta vie n’est pas en jeu. Seule la conquête est porteuse de sens et génératrice d’enthousiasme, d’adhésion. Pour ça, il faut des militants. Qu’ils soient syndiqués, qu’ils inventent des projets de conquêtes. Pas des syndicats qui ne tiennent que suspendus aux dotations publiques, et sur la défensive.
- Je pige pas. T’as été syndiqué et tu dis qu’ils sont hors jeux ?
- Tu ne peux mobiliser que si des militants te soutiennent. Où sont-ils ? La société bouge, les conditions de vie changent, où sont les vrais enjeux ? Chaque jour, chaque matin. La retraite aujourd’hui n’est pas un enjeu, mais un symbole. Celui d’une conquête d’un autre âge. Celui où on pensait avoir du boulot, pour tout le monde, pour toute sa vie. Aujourd’hui, pouvoir gagner sa vie est un tel enjeu, que la retraite paraît lointaine. Les discours nous la rendent encore moins accessibles. Depuis trop longtemps les syndicats s’arcqueboutent derrière une ligne Maginot sociale impossible à défendre. L’égalité formelle n’existe pas. Personne ne se reconnaît dans la situation de l’autre. Trop de cas particuliers : « toi, c’est pas pareil !» La « force » des syndicats (je pense leur faiblesse) repose sur les élections « nationales » qui déterminent leur représentativité. Alors que la vraie force est dans les militants engagés, des adhérents qui cotisent. La représentativité du combat syndical n’est pas dans les urnes qui produisent un syndicalisme délégataire, par procuration. « allo Cerise, soit bonne pomme, débrouille toi avec mes soucis de retraites, rappelle-moi dans huit jours, je pars souffler un peu. »
- Là t’es trop louf ! Merde ! Qu’est-ce que tu veux inventer ? Cent ans d’acquis sociaux ! On va pas les benner en attendant que le syndicat se reconstruisent comme t’en rêve. D’abord, hein, quelle idée ?
- Comment ils ont fait les patrons pour implanter leurs usines partout sauf chez nous ? Il faut que les syndicats se mobilisent dans le monde, comme ils l’avaient fait ici. Mao avait envoyé les étudiants à la campagne pour les briser. Les paysans en ont appris autant que les étudiants. Le combat syndical doit être global et mondial, ou il perdra tous sens, sauf le corporatisme de proximité…Nous ne pourront progresser et définir de nouveaux objectifs de conquête que si ailleurs, partout, les salariés progressent dans leurs droits et la satisfaction de leur besoin.
- Ton plan est fumeux ! c’est pas ça qui va garantir nos retraites !
- Pas la grève des transports non plus, qui ne fait chier que le clampin des villes et accroit encore plus la distance avec la campagne où tout le monde s’en tape ! Et là, gare aux élections !!!