Une tradition bien fragile.
Ou bien foie gras façon sud-ouest produit en Chine.
Tu n’aurais jamais pensé à mettre ce petit sujet en ligne, si ce matin à la radio une émission sur l’économie traitant des canards gras et du foie gras produits en Chine ne t’avait alerté.
Cette après midi tu écoutes le pod-cast et tu comprends mieux pourquoi la finance qui prend le contrôle des coopératives, joue un rôle essentiel dans l’appauvrissement de nos campagnes.
Le foie gras, c’est pas ta culture, t’en as gouté pour la première fois en 1976. Ton gout s’est satisfait pendant longtemps de patates au lard, et d’un "rillettes cornichon" au zinc avec un petit sauvignon.
Même le confit de canard, tu l’as inscrit très tard dans ton éducation papillaire.
Pourtant tu t’es fait plaisir à être capable de distinguer les préparations, de partager autour de ces produits du Béarn, avec tes amis, ta famille, un vrai moment convivial et festif. Et puis doucement t’as eu moins envie. Une sorte de désamour…
Un hiver où tu es là-bas, en pleine saison de gavage, t’es dans un petit bistrot pas loin du marché. Il y avait eu l’épisode de grippe aviaire. T’es devant ta bière, et derrière toi t’entends des hommes. Quand tu te lèveras, tu verras qu’ils étaient trois. L’échange porte sur les canards.
- Moi, j’ai pas réfléchi une minute, le véto est venu, il a tout vacciné.
- Même ceux qui partaient au gavage ?
- Tout !
- Ça va ?
- Ça va, oui, mais cette année, c’est difficile !
- Ah ?
- Je sais pas ce qu’ils ont, ils veulent pas manger !
- T’as changé quelque chose ?
- Rien…
- Moi, ça va, ils mangent bien. Ils se battent un peu, mais ils viennent bien. Tu les nourris avec ton maïs ou avec l’aliment « xx » (t’as pas retenu le nom).
- Non, c’est devenu trop cher, j’ai pris « zz », ils m’ont dit que c’était bien.
- …
Pus tard t’entendras à la radio, que les antibiotiques, ne sont pas très bien contrôlés, et forcément on en retrouve la trace dans le foie.
Ça t’a un peu gâté ton bonheur.
Mais pas l’envie quand même.
Au hasard des marchés tu retrouves des commerçants ou une enseigne avec un nom de village qui t’attire. La femme – c’est toujours une femme qui vend – te parle : chez nous c’est une petite exploitation. Elle sort un « press-book » : c'est là, c’est notre ferme, c’est la grand-mère qui gave, etc… Bon, tu vas pas lui demander des comptes sur les vaccins ou les antibios. Tu goûtes, c’est bon, ça te fait plaisir, tout baigne.
Au marché à Paris sur l’emballage, impossible de comprendre la provenance. Le commerçant te dit que c’est du sud-ouest. Tout ce que tu vois c’est le nom des abattoirs… Faut faire confiance. Mais au goût t’es déçu.
Tu ne sais plus ce que tu manges.
Quand cet été tu lis dans le journal, journée porte ouverte, accueil avec omelette piments, tu résistes pas. Ces canards de la ferme, c’est comment ?
T’arrives très tôt, les stands de petits producteurs régionaux ne sont pas en place. T’es pas attendu, ta balourdise de parigot hésitant, tranche sur l’assurance des réguliers installés là. Finalement tu es invité, tu laisses la place libre pour d’autres habitués attendus, tu t’installes un peu à l’écart.
L’éleveur va te faire visiter. Il te parle déjà de son implantation, de l’espace, te présente les anciens et verse le vin rouge. Pas dix heures du matin, avec l’omelette faite par son fils tout passe.
Il rappelle que le gavage est une fonction vitale naturelle des oiseaux migrateurs. Il t’apprend que les animaux sédentaires ne peuvent être gavés, ça les rend malade. Ensuite qu’il ne faut pas gaver l’été, seulement l’hiver pour respecter le cycle biologique de l’animal. En chemin d’un geste du bras il marque les espaces. Trois zones, dont une seule occupée par les canards. Deux autres libres, pour les prochaines rotations. En permettant au sol de se reconstituer et de faire disparaître naturellement les fientes, il avait pu se passer du vétérinaire, ni vaccin, ni antibio.
Il t‘explique aussi l’espace nécessaire pour que les animaux ne soient pas stressés, ça a des conséquences sur le gavage et sur la qualité de la viande. Par ailleurs, lui, il utilise une souche régionale conservée par un agriculteur de Peyrehorade, le mulard, un croisement entre un canard de Barbarie et une cane de Pékin. Il achète les poussins à 1 jour. Il les nourrit avec les céréales de sa production. Il te montre le grand séchoir à maïs, en plein air. « A la coopérative ils n’étaient pas d’accord pour qu’on sèche nous même ».
Dans l’aire de gavage, il parle de la griserie des canards quand ils ont bien mangé, qu’il fallait faire attention qu’ils ne chahutent pas trop, car s’ils se blessent, le confit ne sera pas commercialisable, trop grand risque que la conservation soit moins bonne.
Le labo, enfin, où les canards sont abattus et traités en vingt-quatre heures. Il présente la traçabilité des opérations qu’ils ont mis au point pour comprendre en cas d’incident les problèmes rencontrés.
A notre petit groupe de visiteurs s’étaient joints des enfants, et d’autres personnes. Dont cette femme que du coin de l’œil, tu voyais sourire « finement », quand il nous parlait du stress des canards, de la température choisie de l’eau pour les ébouillanter avant de les plumer entrainant des conséquences sur la préparation. Dès lors qu’il a décrit les méthodes de stérilisation, la façon de disposer les boites ou les bocaux dans l’étuveuse, le contrôle stricte de la température enregistrée par un thermomètre enregistreur graphique, là, t’as vu qu’elle faisait une découverte.
En se séparant, tu lui demandes combien il fait de canards ?
- Cent soixante. C’est tout ce qu’on peut faire sur une exploitation comme la nôtre et en conservant notre façon de faire. Avant on travaillait pour une grande conserverie.
Il te donne un nom que tu connais, t’achètes encore des produits de la marque. Il t’explique pourquoi il ne pouvait plus continuer.
Quand tu écoutes l’émission à la radio, le nombre de canards produits en Chine par cette coopérative béarnaise : soixante mille ! Tu comprends que c’est pas le même produit. La coopérative prétend qu’il faut gagner le marché chinois. Ce qui est sur, c’est qu’avant peu, la ferme artisanale, traditionnelle qui fait vivre une petite entreprise familiale, en élevant des canards sans stress, sans apports vétérinaires, qui reçoit ses clients chez elle, va se trouver en concurrence avec une montagne de canards dont personne, autre que de rares actionnaires, n’aura pu voir les conditions d’élevage, en connaître la nourriture, savoir les vaccins les antibiotiques, ingérés par l’animal. L’interviewer a questionné sur le chiffre d’affaires. Aucune question sur les méthodes de production.
Tu croyais naïvement que les coopératives agricoles servaient au développement de l’agriculture des régions. Les machines à cash implantées si loin ne vont guère laisser d’espérance de survie à nos fermes locales…
Longue vie donc au label « sud-ouest » made in China !