En haut de la Pène de Mu la Statue te tourne le dos.
Cette balade te fais plaisir. Oh ! Tu ne sais pas trop pourquoi ! La nostalgie a toujours été un moteur ; non
pour pleurnicher dans la complainte de ce qui change, ni parce que beaucoup d'améliorations ont rendue la vie plus facile, mais parce que l'individualisme, le refus de l'effort, l'amplification
des aides et exonérations enlèvent du sens à la solidarité, valeur collective !
Bien sur les temps ont changé, et la bataille sur les « pass navigo » te montre une complète révolution de la
question du trajet pour le travail. Tu as déjà raconté que ton grand père pour aller à la mine, il marchait matin et soir dix kilomètres dans ses sabots. Au début du vingtième siècle, les hivers
étaient longs, plusieurs semaines avec des températures entre zéro et moins quinze. Jamais tu n'as entendu la moindre plainte, le plus petit sentiment d'injustice. Il fallait travailler ; la
mine était à dix kilomètres. Bon ! Voilà !
Combien t'en entends qui râlent parce qu'ils ont une heure de trajet ? Pauvres choux ! Tu veux qu'on te serve le
travail à domicile, avec le plateau du petit déjeuner et les croissants frais !
C'est pas pareil de contester un travail trop dur et de faire l'amalgame avec un travail trop loin.
Le clou du spectacle s'est de faire payer tout le monde pareil dans les transports. Ceux qui se déplacent beaucoup et ceux qui
se déplacent peu. Je suis d'accord, il y a quelque chose d'injuste, à ce que certains aient plus de trajet que d'autres, pour travailler, que cela induit fatigue et dépense supplémentaires. Mais
zut ! Ils n'y vont pas à pied ! La solidarité je suis d'accord, mais pour la santé, l'éducation.. En plus dans le métro ou les bus, qui paye réellement ? Uniquement le brave
citoyen. Derrière sa cage de verre, le préposé, désormais au service d'accueil, regarde ses pieds quand le flot des fraudeurs passe les tourniquets.
Pas payer de transport, pas payer d' impôts, c'est la même logique du refus de l’État, du refus d'appartenir à une
organisation de la société qui d'un coté, par l'impôt construit les infrastructures et de l'autre assure la solidarité par la Sécu, la retraite, le RSA, la CMU etc... Il n'y a pas de solidarité
possible si les efforts faits pour soutenir la dignité des individus face aux difficultés de la vie, sont d'une part, perçus comme un droit ( sans s'impliquer), et d'autre part à la charge d'une
fraction toujours plus réduite de contributeurs.
Donc, ce matin là, il fait beau, frais et ton VTT te porte gaillardement. Tu as refait des dizaines de photos du paysage de la
Pène de Mu. Ah ! T'as oublié la Statue, la bas, en contrebas. Tu marches dans la pâture en faisant une sorte d'arc hésitant, tu cherches un angle ! Cette statue ne rend rien !
Non ! Rien à en faire !
Plus près tu vois la couronne et le petit bouquet de fleurs plus que fanées. C'est là que tu t'interroges : pourquoi elle
est tournée du mauvais coté ? C'est vrai, ça ! Elle regarde le bois. Pas la plaine agricole.
Tu fais le tour cherchant une photo à faire mais rien ne vient.
Si, la nostalgie !
A la fin des années cinquante, dans le village de tes grands parents, il y avait une statue comme ça, plantée là, sur une
petite colonne de pierre. Tu te demandais vraiment à quoi ça pouvait servir. Tu passais devant, avec ton vélo sans imaginer . C'était pour les mauvaises saisons ! Régulièrement au mois
d'août, il faisait trop chaud, ou il pleuvait trop, de toute façon, il y avait toujours un trop de quelque chose qui n'allait pas. C'est là que la statue était utile. Il y avait une église, il y
avait un curé, il y avait des enfants de chœur. Non pas les choristes ! Des gamins affublés de tuniques rouges et de dentelle blanche...
Alors quand il avait fait beau pendant trop longtemps, il ne fallait plus laver le linge au lavoir, l'eau était réservée pour
les vaches. Et puis, à la messe, le curé, après avoir menacé tout le monde des feux et des flammes de l'enfer, annonçait une procession pour le dimanche prochain. Pauvres enfants de chœur !
Double journée ! Dans un coin de l'église, sur une vieille étagère, il y avait une réplique de la statue, en plus petit. En bois et pas en plâtre. Hop ! sur une planche façon brancard,
et que je te promène la statue, direction le champ de foire.
Le curé avait mis une jolie tenue jaune bouton d'or, et de son accent alsacien, mettait en route la manif, en chantant un
« Ave ». On disait procession à l'époque, tu ne sais pas pourquoi, parce que tous manifestaient : une année pour la pluie, une autre pour le soleil. Tu ne sais pas si la statue au
milieu du champ de foire aidait à grand chose. Mais bon, dans un petit village, t'as pas le génie de la Bastille pour servir de repère ! Figures toi, que même le grand père, quand il voyait
passer le cortège, il se demandait qui c'était tous ces gens. Il ne se souvenait pas d'en avoir vu autant. Comment il avait fait le curé pour les rabattre tous, ça reste un mystère ?
Sûrement, une longue tradition de manifestation pour ces paysans.
Maintenant, la statue, ( elle n'avait pas une couronne comme celle de la Pène de Mu.), perdue au milieu des habitations,
personne n'y fait plus attention.
Quand même, tu t'assois là, adossé au socle. Tu regardes, et tu vois rien, que des arbres, de l'herbe. Au dessus de ta tête,
la Statue paraît plus dépitée que perdue. C'est vrai que les manifs conduites par le curé, t'es pas trop sur du résultat, t'étais gamin. Elle devait sentir la Statue qu'il y avait un contresens,
que c'est pas elle qui faisait la pluie et le beau temps. Qu'elle y pouvait rien !
T'imagines le premier ministre Pierre derrière son nuage : Combien de manifestants aujourd'hui Joseph ?
- Heu ! Des milliers...
-
les syndicats de curé, ils annoncent combien ?
-
Heu ! Des centaines de milliers, sûrement plus !
-
Demande donc au Vatican combien ils ont fait de recette, qu'on pointe un peu les objectifs !
-
Et pour la pluie, qu'est-ce qu'on fait ?
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Touche à rien, la vie, ça ne nous regarde pas !
Les manifestants aujourd'hui n'implorent plus de statues. Ils ont de gros tracteurs qui, de République à Bastille, roulent
leur grosse mécanique, te mettent en garde, que désormais c'est eux qui font la pluie et le beau temps. Plus de Statue, retour du veau d'or : la finance : je fais grimper les cours, je
baisse les cours, subventions ici, et taxe coca pour ne pas payer les charges sociales qui sont LA contribution à la solidarité.
Finalement la Statue en haut de la Pène de Mu, elle tourne le dos à ce monde où elle ne se reconnaît pas ! Elle ne
pouvait rien, mais elle rassemblait !