Après la démolition de la CPCU,
que reste-il des murs peints par Dacruz et ses amis invités.
Tu ne comprends rien à la mixité de la vie des quartiers de Paris, dans le XVIII ème ou le XIX ème, si tu ne voyages pas avec le 60. Le bus, quelque soit le jour et l'heure est plein. Il bruisse des enfants qui chahutent, qui s'interpellent, réduisent tes pieds en bouillie, et ton pantalon en serpillière usagée.
La bataille pour la place assise est une bonne pédagogie pour l'école de survie en milieu hostile. Les enfants, là aussi, sont les maîtres. La porte à peine entrebâillée, se faufilant entre ceux qui descendent et les trop lents à monter, gênés par leur caddy, ou ralentis par la conversation téléphonique que nous partagerons pendant une demi-heure, les gosses ont progressé, joué des coudes et du sac à dos, et se sont jetés sur les trois places qui venaient de se libérer, pendant que deux femmes s'invitaient de la main ou du regard à s'asseoir. Trop tard.
Le "grand black", une quarantaine d'année, un bon mètre quatre vingt dix, parle à pleine voix dans le "kit main libre" de son téléphone mobile. Du haut de son regard en vigie, il repère un môme - quatre ou cinq ans - , le tire un peu du siège et crie :
- " c'est à qui ce gosse, là! qui ne se tient pas?
Un peu plus loin, une femme en boubou orange, tenant une poussette cane, deux enfants pour la caler, répond:
- c'est mon petit. Qu'est-ce qu'il y a?
- il ne se tient pas! il va tomber!
- Viens mon petit! Viens vers moi. Laisse lui la place!
Le grand Black s'installe sur le siège, passant devant les deux femmes, au moins soixante ans, tenant leur cabas et qui s'étaient fait des civilités. Elles se parlent en arabe, s'agrippant avec peine à la courroie au-dessus de leur tête. Elles oscillent avec les à-coups du bus. A chaque arrêt, bousculade entre les flux montant et descendant. Jamais moins de quatre poussettes dans les allées, des caddies, des cabas, des valises que monsieur Muscle ne pourrait pas soulever. Foulards et kipas mélangés, les jeunes dynamitent tout. Le vieux bancale que je suis devenu, n'a qu'à bien se tenir. Aggripé à ta barre, tu gènes forcément, tu transpires jusqu'à ton arrêt, où tu es expulsé dans le flux, les chevilles bleues des coups de poussette.
C'est nouveau pour toi, le 60. Pendant des années, ces deux kilomètres jusqu'au canal, tu les faisais d'un pas léger et rapide. Ca fait moins d'une an que tu prends le 60. C'est un autre visage du Paris du vieux parigot.
L'année dernière, Dacruz, t'expliquait la vie de ce quartier, sa richesse, et comment les mutations imposées par l'immobilier, peuvent faire perdre aux habitants leurs racines. De la CPCU, il ne reste rien. La première fois que j'avais vu cette main où chaque doigt est un visage, et à coté ce coeur, "j'aime mon ghetto", j'ai été touché par la simplicité et la force de ces symboles. C'est rasé. Dans le clip vidéo, j'ai ajouté ce rappel. La rue de l'Ourcq passe au dessus du canal. Une partie de la fresque d'origine était dégradée par la pierre décomposée et la peinture pelée comme la vieille peau d'un fruit pourri.
J'ai mis bout à bout toutes ces photos pour que la vidéo te montre ce que tu vois depuis le 60.