Le paysage qui change te change.
Quand tu ne vois plus la même chose, tu vois autre chose, ton œil est connecté sur ta conscience.
C'est une énorme frustration. Depuis le début du mois, t'as ressorti ton VTT, et tu te remets doucement en selle. La vieille carcasse se sent bousculée, parfois elle demande grâce. Mercredi, le matin tu sens que les préparatifs autour de la passerelle du T3 s'activent. De nouvelles interdictions de circuler t'obligent à quelques détours. Mais la voûte centrale du pont est toujours sur sa barge, et les soudeurs, peintres s'activent. C'est une journée VTT, tu fais ton parcours. Le long du canal des taggeurs sont à la tâche et renouvellent l'imagerie des palissades en brique.
L'après midi tu repasses à pied, avec ton appareil tu fais une cinquantaine de photos. Les kilomètres à pied s'ajoutant à ceux sur ton VTT, jeudi tu pantoufles. Grave erreur ! Vendredi le pont est posé, t'es frustré, tu n'as rien vu !
Ce vendredi matin, l'appareil est dans le sac à dos. Frustré, pour frustré, tu ne t'arrêtes pas et continues ta course.
Juste après Pantin, il y a encore les vieux entrepôts de Bobigny. T'aperçois un joggeur sur la vieille passerelle. Ça t'interpelle ! Curieux tu montes l'escalier, qui te découvre la vieille porte arrachée. Le passage s'ouvre donc !
Ces vieux entrepôts, t'en a fait le tour plusieurs fois. Une grande partie du pourtour de l'entresol est bâché, des gens vivent là. Sous les abris des quais de chargement Vers dix heures, le petit ménage est en cours. Tu ne photographies que les masses et les derniers tags. Cette rive du canal est encore une friche. De l'autre coté, l'espace des Grands Moulins au Technicentre est en pleine restructuration. Démolitions, reconstructions. Les péniches n'arrivent plus à fournir le sable des bétonnières. Les camions font leur rotations rapides. La poussière est là.
Immobile sur la passerelle, tu regardes ton paysage qui change. Tu n'avais même pas fait gaffe à l'usine à pavés. Comment c'est fabriqué un pavé, un trottoir ? Aucune idée. Les vieux pavés bosselés côtoient les bordures au granit poncé, sur-brillant. Il est probable que les vieux ont été recyclés.
Au retour tu t'arrêtes quand même au nouveau pont. C'est comme si on avait mis un gros coup de bombe sur ton paysage. Pendant toute la réhabilitation des Grands Moulins de Pantin, tu te disais que cela préservait aussi le témoignage de ceux qui avaient bossé là. Mais le pont, là, rature tout. Comme si tes verres de lunettes étaient brisés en deux. Tu ne peux réconcilier l'image. Tu regardes la longue cohorte des costumes noirs descendre résolument depuis la gare SNCF et s'engager entre les tourniquets de la banque. Se sont-ils seulement rendus compte. L'autre berge abrite pour longtemps les bétonneurs, et le parc de sports avec ses terrains en terre battue, recouverts de moquette verte a disparu pour longtemps. Ce nord-est de Paris est déjà tellement resserré. Où trouver un peu d'air, d'espace récréatif ?
Les vieilles palissades se couvrent donc de nouveaux messages. C'est ton prochain sujet. Mais pour dire quoi ? En tout cas, ce Canal de l'Ourcq réunit bien des passionnés.