11 mai 2010 2 11 /05 /mai /2010 15:35

Taos Amrouche et  Maura Michalon Lafare

 

taos amrouche 4Ado t’as mesuré la distorsion d’une onde, les bruits de fond. Tu t’es vite rendu compte qu’aucun oscilloscope ne t’exprimait mieux la distorsion que ton oreille. C’en est un peu maladif, aujourd’hui on dit facilement pathologique. Mais t’as passé un temps fou à comparer ce que tu vois et ce que tu entends. Tu sais quand les premiers micro-ordinateurs sont apparus, (dans les années 1980-81), j’ai acheté un ZX81. Le soir dans notre chambre une petite télé portable affichait les résultats de petits programmes que je tapotais sur le clavier de l’UC posée sur mes genoux.  je développais des harmoniques en série de Fourier. J’enregistrais les fichiers sur mon magnétophone à cassette acquis pour immortaliser les premiers mots des enfants. Vers une heure ou  deux du matin une violente tornade secouait le lit : « y en a  marre de tes conneries ! » C’est vrai que le « scrouuiitt » des signaux numérisés s’entendait bien !

Comment ta petite femme s’est-elle fait recruter par une chorale de Gospels? Il faudrait la soumettre à la « Question » comme un vulgaire inquisiteur moyenâgeux ! En tous cas elle rentre de cette après midi là en réclamant ses vieux vinyles. Scander le rythme, sentir la voix qui sort des profondeurs de sa gorge, retrouver les émotions des musiques partagées, c’est ça le chant. Juste ou faux, si l’émotion, le ressenti sont là, tout est bon.

Bien sur la vieille chaîne stéréo trône sur le meuble du salon. Mais à l’heure du CD ( chez nous on n’est encore pas MP3), mettre en route la platine pour lire les disques vinyles, apparaît vite comme agaçant parce que « ça ne marche pas tout seul »…

Fais-moi des CD !

 Du vieux placard sortent plus d’une centaine de disques qui s’étalent sur le parquet. D’une décantation inversée remontent à la surface quelques vieux disques oubliés depuis trente ou quarante ans. Tu  débranches ta platine de ta chaine et tu la transportes sur ton imprimante/ scanner au-dessus de ton PC. Premiers essais de capture, du bruit de fond impossible. Du 50HZ comme si t’enregistrais le secteur. De ton  tiroir technique tu sorts un fil et tu relies les masses du PC et de la platine. La musique est là. Les grattements, craquements aussi. T’as une palette de filtres, pas géniaux. Tu prends le disque et tu l’emmènes dans ta cuisine, eau tiède, liquide vaisselle, rinçage à la douchette, coup de torchon énergique, on recommence ! C’est pas un miracle, le son est là. Trois ou quatre passages pour affiner devant les vumètres le bon poids de la cellule et de l’antiskating, et ça roule. Ton mini labo de conversion de tes vinyles en CD est prêt. Tu dépiles dans l’ordre où ils sont posés.

Celui-là, c’est le cinquième. Ne crois pas que le transfert soit une industrie automatisable et rentable. Non, t’es qu’un géomètre qui à chaque instant remesure, faif le point, reporte ses paramètres. Ton casque sur les oreilles tu écoutes ce qui se joue. T’as beau lire un bon polar, le moindre crachouillis te fait sursauter pire qu’un chasseur aux aguets. C’est un vieux Taos Amrouche des années 70. Là t’es surpris par le silence et la voix qui doucement s’insinue, le remplit sans le combler. Tu te rappelles le film de Besson, «le  cinquième élément », ou la chanson de « Laetitia » dans les « Aventuriers » avec le vieux Lino et Delon. Quand l’espace devient chant, quand le vide devient voix, quand tous les désespoirs se nouent dans les cordes vocales de l’artiste, ton estomac se creuse, ton cœur change de rythme, ton esprit  n’est qu’un son. Il n’y a pas que le cristal qui peut exploser quand la voix te prend, ton émotion aussi.

C’est pas moi qui vais te faire l’article pour Taos Amrouche, tu la connais surement mieux que moi. Mais en redécouvrant ces « chants de la meule », et les « chants du berceau », le chant n’est pas l’envoutement de la sirène, mais la lumière rassurante d’un phare, le doux murmure d’une voix proche dans ta première peur de l’obscurité. Toutes tes craintes s’estompent. Le dos se relâche…

Le problème de ces voix magiques, c’est le silence qui les accompagne, et les craquements et soupirs de la surface du vieux disque usé. Comment filtrer le bruit sans altérer l’authenticité de la voix ?

J’avais reçu de Maura un courriel pour son prochain stage de chant. Tous les renseignements sont sur « la page de Maura » de ce blog. Comment pouvais-je réunir ces deux émotions ? Celle de cette voix pure mais moins simple qu’il n’y paraît, et celle de Maura si enthousiaste dans la conduite de ces chorales ?

 La nuit.

Le  dernier concert  à l’espace Daviel débutait par « un noir » d’où montait  doucement la voix lumineuse de Maura. Dommage   la réverbération incorrigible de la salle. Dommage le piano-enclume. Même les petits bruits des enfants si présents auraient été un meilleur accompagnement.

Deux cultures, deux époques, deux voix, un même chant universel.

 

 

P.S :Dans le petit montage vidéo, la première partie chantée est « Berceuse de l’Oncle Mahmoud »

Quelques vers recopiés de la pochette du disque:

 

Qui voudrait m’accompagner au pays où se trouvent les âmes ?

 

Nous irions à leur recherche en nous mêlant aux oiseaux

 

Nous nous élèverions en plein ciel vers mes enfants bien-aimés.

 

( poème Kabyle de Fadhma Aith Mansour)

 

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commentaires

M
<br /> Bonjour RJ,<br /> <br /> Je trouve enfin un instant pour vous dire combien j'ai été touchée par votre idée<br /> de la réalisation du mixage de ma voix et de celle de Taos Amrouche.<br /> J'ai eu un contact marquant et très fort avec cette artiste lors d'une rencontre au théâtre<br /> de la ville à l'occasion d'un de ses concerts... le premier et le dernier.<br /> A la fin de sa prestation le public s'est levé approché de la scène pour lui rendre un<br /> hommage avec les youloulous et Taos A. a annoncé qu'elle était en voie de quitter notre<br /> planète atteinte d'une maladie.<br /> Autre point fort de rencontre, j'ai reçu un 33 tours de Taos. A. dédicacé par Aimé Césaire, un<br /> signe pour moi du rapprochement de l'Algerie et de la Martinique magnifiquement concrétisé par<br /> votre mixage de nos voix.<br /> Un seul regret la médiocrité du piano et la résonnance de la salle mais... peut-être un jour nous<br /> feront mieux.<br /> <br /> Bravo et grand merci,<br /> <br /> Maura<br /> <br /> <br />
Répondre
A
<br /> <br /> Bonsoir Maura,<br /> <br /> <br /> Au fond du Béarn, vous m'apportez un peu de  Lumière. Devrais-je dire des "Lumières"? Celles de la communion des cultures, de la grande mixité des peuples. Du vivre ensemble.<br /> <br /> <br /> Toute ma gratitude pour votre confiance<br /> <br /> <br />  <br /> <br /> <br />  <br /> <br /> <br /> <br />

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