Coups de cœur, coups de griffes sur le quartier de la Chapelle
Tu descends vers onze heures au sous-sol prendre ta bagnole. Au
moment d’ouvrir la porte, tu réalises que tu marches sur du verre. La voiture du voisin fracturée, tu regardes la tienne sans rien voir, toutes les autres autour sont cassées. Pourquoi
t’auraient-ils épargné ? Voiture ouverte, tu comprends qu’ils sont passés de l’autre coté. Tu téléphones au voisin et nous voilà en ribambelle faisant la queue au commissariat.
T’es pas rentré chez toi que la police te rappelle, il faut que tu conduises ton véhicule à la plateforme technique. Un coup de plumeau ici et là, pour te dire qu’il n’y a pas de traces.
Ta journée est naze, t’es furieux, tu décides de faire un tour de quartier, et matraquer par des photographies choisies, ce quartier de merde…
Au métro par exemple ces femmes qui vendent des maïs depuis leur caddie fermé, et ces avocats d’on ne sait où, posés sur un carton, la femme « Rom » par terre qui attends depuis trois ans avec son fils qu’on lui donne quelque chose…
T’es remonté, tu vas photographier ta colère.
Devant ton immeuble le boulanger est en vacances. Ses poubelles sont vides. Deux femmes traversent la rue, une d’origine asiatique, l’autre « Rom », elles tirent chacune leur bambin, deux-trois ans, contournent le square à toute vitesse et se jettent sur les containers que l’employée vient de sortir. Bousculade ! la jeune asiatique réussit à capturer deux poubelles, bascule les couvercles en se déplaçant, fait obstruction avec son dos, cale le bambin derrière. Le couteau est prêt, les sacs plastics sont éventrés, les contenus triés, et la récup tombe dans un petit cabas. Les sacs ouverts gisent par terre, elle fouille plus profond. Cette jeune femme, une trentaine d’années à peine, tu l’avais déjà vue. Au printemps elle coupait les feuilles des pousses de roses trémières plantées devant l’entrée. Devant mon regard étonné, elle m’avait fait comprendre que c’était pour les tisanes…
T’as plus de colère, ou plutôt plus la même. C’est chiant de se faire casser l’auto, mais dehors de chez toi les problèmes sont autres…
Alors tu changes ton regard. Tu pestes contre la saleté abandonné un peu partout. Parfois le couchage d’un squatter attend d’être récupéré. Les « encombrants » passent tous les jours et nettoient sans état d’âme. Puis tu observes ta ville diverse, pleine de couleurs, de vie. Comment tout ce monde vit-il là sans que les frictions inévitables ne deviennent insupportables et ne dégénèrent plus souvent ?
Les trois squares sont répartis : un pour les tous petits, un pour les enfants plus grands et quelques personnes qui prennent un peu l’air autour de la fontaine de l’Albien. Enfin, le dernier, sous les murs roses aux éléphants, abandonné aux SDF résidents du quartier depuis plusieurs décennies…
Devant le « primeurs », une voix t’interpelle : « pourquoi vous ne photographiez pas ma boutique de face ? » Tu te retournes, photographies l’étalage tout en couleur, et fait deux trois gros plans du maître des lieux. Il t’écrit son adresse sur un ticket de caisse pour que tu lui envoies les photos.
« Pas de problème, je repasse dans une heure . »
Tu choisis un beau papier A4 semi brillant, imprimes la photo de l’étalage : super ! les portraits aussi. Une grande enveloppe, un intercalaire pour que ça ne tache pas, et tu redescends.
Quand il voit ses photos il est aux anges, appelle ses copains, on échange les identités et me demande si je connais Djerba. Non ! Il est de là, il va te ramener de l’huile d’olive aux prochaines vacances. Au mois d’août, les commerçants du marché de l’Olive sont en congés, du coup, tu passes tous les jours le voir : il y a toujours une affaire dont il veut te faire profiter. Tu ne te laisses pas faire, non ! Tu es convaincu…
Cet homme a chassé ta colère, mieux qu’un thérapeute.