Premier jour de VTT après plus d'un an de privation.
Si longtemps...
Si longtemps que même l’incapacité de Orange et Free, à dépanner ta fibre optique coupée depuis le 29 janvier, te semble dérisoire. Pourtant Orange t'appelle vendredi, vers 16h30. « On a eu un contact de Free, un technicien de chez eux passera lundi matin, reste plus qu'à trouver quelque de chez nous qu'il puisse être là ! » Tu les connais, à 16h30, il n'y a plus personne, donc le rendez-vous a de bonnes chances de foirer. T'oses même pas dire au manager qui t'appelle, de venir lui même faire le boulot. Non t'es KO, résigné, tu dis merci de la bonne nouvelle...
Plus d'un an que t'as pas senti tes cuisses en mouvement. Il y a dix jours elles tremblaient encore en montant l'escalier. Mais sur ta selle elles se reconnaissent. Elles n'avaient pas vraiment eu le temps de s'habituer à la nouvelle bécane, le vieux VTTiste avait chu et le VTT était tenu pour responsable. Tout ton corps s'était raidi contre lui, ton âme révoltée par le vol de ta rousse, ton meilleur VTT, n'avait pas de mots plus assassin contre son remplaçant, noir et blanc. T'en étais sur, c'est lui qui avait raté la bosse, qui n'avait pas su ressortir du creux et t'amortir. Un mauvais !
Il t'en avait fallu des toubibs et des examens, pour qu'on découvre qu'une maladie sournoise creusait ses galeries dans ton corps pour te saper la santé et te couper l'énergie. Le coupable n'était pas le vélo...
Hier, tu t'es réconcilié très précautionneusement avec lui. Un VTT ça a son caractère. T'en a connu des farouches, et le domptage qui te les avait rendus si dociles avait été long. Mais tu étais le plus fort et à chaque fois une de ces belles journées d'été, faites de quelques raidillons musclés et de descentes bien cassantes avaient crée un lien d'estime, de confiance, à partager dans la confidence, nos inquiétudes, nos coups de pompes, et nos réussites. Combien de fois avons nous dépasser nos limites, sans crainte et chercher dans le vertige des descentes la petite exaltation qui nous unissait plus surement que les cale-pieds, ou tes mains fermes sur le guidon.
Alors, tu frictionnes ta bécane d'un chiffon doux, lui enlèves la grisaille de la cave, envoies deux coups de bombe graphitée sur la chaine, fais tourner le pédalier pour écouter le léger cliquetis du roulement de roue. Quand tu la sens rafraichie, tu sors les clés et tu règles la selle dans une position pour la promenade paisible, tu vérifies les amortisseurs, qu'ils n'aient pas le rebond trop farouche, t'expliques le plan. Demain, petite sortie, dans la douceur. Prendre le soleil, trouver les repères, ne pas déclencher la moindre sensation douloureuse, ni s'épuiser.
Ce matin au premier élan, ta jambe passe au dessus de la selle, tu rejoins dans le premier soleil la piste du canal de l'Ourcq. Dimanche : beaucoup de monde, les enfants seront là au retour. Tu fais un peu aller pour ne pas être un obstacle, ça file. Tu respires. T'as l'impression que tes poumons étaient collés comme un vieux ballon oublié. L'air les emplit et tu sens tes épaules qui se dénouent. Le pari est gagné. Ta rééducation commence...
Le décor a changé, en remontant le canal, après Pantin, sur la gauche, il n'y a que des grues ou des entrepôts démolis. Au rond point de la Bergère on se prépare a l'été du canal. Quand tu redescends, tu fais quelques photos des nouveaux tags, avec ton téléphone. La tradition. Rue de l'Ourcq, sur le pont traversant le canal, un immeuble a disparu, un autre nait à grands renforts de grues. Tu regardes tes anciennes photos, oui, toute la grande fresque de Dacruz et de ses invités a disparu. Je te mets le lien si tu cherches à te souvenir.
L'été du canal, c'est peut être ta renaissance. Tout ton corps est à reconstruire.