Rando VTT- Col de Ponsoye - Alboussière - St-Peray
Quatre carreaux !
Il te reste quatre carreaux à couper quand la nuit et le froid te font réagir. Sur ton balcon exposé au vent d'ouest et au mauvais temps, tu as profité de la clémence du ciel. Mais là, la nuit t'en veut !
Tu démontes ta machine précautionneusement, t'y vois à peine. Tu récupères le bac d'eau où la poussière de céramique décante et en enjambant la porte-fenêtre, tu fais gaffe à ne rien lâcher. Tes gants sont mouillés et froids, les éclats de découpe te picotent sous les ongles. Démonter le disque diamant, tout ranger dans le carton après avoir soigneusement essuyé. Nuit noire. La lune va venir, mais plus tard dans un moment, le vent aura balayé le ciel et découvert une lumière bleue très crue, où les étoiles percent. Deux degrés. Le froid est là.
Depuis que t'es rentré de vacances, t'as cette obsession, carreler les sanitaires. T'as raté la rénovation de l'ancien, le nouveau est là il faut s'y mettre.
-Pourquoi tu fais ça en plein hiver ?
-Je fais ça parce que c'est le moment...Deux semaines sans vélo, trop mauvais temps, puis tout ce tri des archives de la maison vide. Tu peux passer ta vie dans le passé, alors de temps en temps tu stoppes. Tant pis pour les quatre carreaux..
Ton atelier photo est en vrac. Tu soulèves un carton, tombes sur le CD photos et les cartes d'Ardèche que tu n'avais pas fini de traiter. Même le GPS, tu n'avais pas déchargé les tracés de tes randos d'été. Ce matin, le mauvais temps s'est accentué, sous la pluie, ton coupe-carreaux risque de disjoncter, tu t'organises dans ta cuisine. Etrange ballet d'évitement entre la ménagère et le bricoleur d'un jour. Pas chassés, bras en l'air, fesses serrées, ventres rentrés, quand il y en a pour un, il n'y en a pas forcément pour deux : de la place ! Les dernières découpes sont problématiques, t'avais fait un plan à l'échelle, mais mal estimé tes joints du coup les angles sont des biseaux impossibles, et il t'en faut deux de moins d'un centimètre, un truc à te couper les doigts...
Ça passe.
Tu reprends tes photos. Le 19 aout ! Que c'est loin ! Impossible de retrouver le calepin où tu notes quelques détails de ta ballade, tes points de passage relevés sur le GPS, et où tu as pris les photos.
Heureusement, les dates des traces du GPS et celles des photos t'aident à reconstituer l'histoire. Tu redéployes la carte achetée à la Voulte sur Rhône et tu refais ton parcours. Il te restait deux jours à passer dans le coin. Les premiers jours tu n'avais fait que des demi-journées de VTT, tu soignais encore tes tendinites. La météo lue dans la « Dépêche » indique une belle journée avec un risque d'orage le soir. Sur la carte, il y a une grande tâche verte, sans route qui traverse, et juste un pointillé. C'est par là que tu vas rentrer. Tu lis « champ de tir de Toulaud, t'espères que ça ne sera pas fermé, sinon tu reviendras par la départementale dessous où tu es déjà passé.
Tu parts de Charmes en direction de St Peray par le GR en haut des crêtes de la vallée du Rhône. T'es déçu, car la visibilité n'est pas celle que tu espérais. Des photos trop brumeuses. Puis cette longue route sinueuse sans un village jusqu'à Alboussière. Ça monte tout le temps, bien régulièrement jusqu'au col de Leyrisse. Au début t'as peur de ta cuisse, tu n'y va pas franchement, puis le souffle se met en place, ton rythme devient régulier et même si tu sens la petite gène, ta crainte s'efface. Plus d'une heure de montée. Quelques jeunes te dépassent après t'avoir accompagné cinquante mètres, partagé avec toi, tes sensations dans la cote, un petit geste de la main et leur rythme les emportent dans les virages devant toi.
T'avais fixé ta halte de mi-journée à Alboussière. Deux chemins possibles pour l'après-midi, le plus dur le matin. De loin, tu as l'impression d'un gros bourg. Dans le village tu cherches un truc à manger. La boulangerie t'accueille. « Oui le restaurant est fermé, ils ferment après le quinze aout ! Non, il n'y a pas de snack, elle ne fait pas de sandwiches. Mais en bas de la cote, sur le Duzon il y a une base de loisirs avec un bar-brasserie ». Tu mets le pain-choc dans ton sac et tu te laisses glisser dans la pente. Tout d'un coup ça accélère et tu réalises qu'il faudra remonter tout pour repartir. Mais le coin est équipé, il y a des frittes...
Après une demi-sieste, tu te relances jusqu'au col de Ponsoye. Il faut prendre la décision, basculer sur le chemin pointillé ou rejoindre la départementale. C'est un carrefour pour randonneurs. Des panneaux de direction te donnent confiance. Tu fais une photo avec ton téléphone mobile et t'essayes de l'envoyer sur ton blog. Il n'y aura jamais assez de réseau pour que le MMS passe. C'est vraiment le désert.
Tu lâches les freins et le vent de la descente à pic te surprend. Un virage sévère, deux passages devant toi, un qui monte un qui descend. Grisé, tu descends, fallait monter. Perdu, tu feras demi-tour, la belle descente te fait front, elle te toise du haut de la cote abrupte, Ton coup de pédale haché fait déraper ta roue sur les cailloux concassés. Tu t'uses. Quelle suée !
Tu rejoins le chemin vers la Croix de Reyne, tu longes la serre de Baube puis remontes le chemin vers le Tracol. Quand tu te poses, tu examines ta carte sous toutes les coutures : le Tracol, les ruines du grand Tracol dominées par le sommet au-dessus de la serre Pointu, est-ce que c'est le nom d'une maison, d'un lieu?
La magie de la carte !
Elle s'insinue dans ton imaginaire, elle t'emmène dans ses pièges, t'enserre de ses mystères, te rend avide de ses trésors cachés, te fais perdre le nord. Et comble pour le vieux VTTiste, perdre les pédales ! Quelle « arche perdue » t'attend derrière ce paysage ? La rando est une quête impossible. Tu veux conquérir ces espaces que des générations d'hommes ont habité, travaillé et trop souvent abandonné. Aucune onde ne passe. Déjà deux heures que tu n'as vu personne. Tu sorts ton pain-choc, c'est rationnel, concret, rassurant. Les noms t'inquiètent. Le grand Tracol est-il un géant oublié, un animal préhistorique, un traquenard pour VTTiste ?
Pourquoi les lignes tracées sur la carte s'interrompent-elles ? Pourquoi elles ne relient rien. Taches vertes, puis plus foncées, taches blanches. Les courbes de niveau se resserrent se courbent, se referment. Où es-tu ? Les serres ! Quand tu y es passé, le chemin était large, au dessus de toi une colline abrupte, qui s'adoucit en plongeant vers ce qui t'apparaît comme un ruisseau. Tu ne vois pas l'eau. Tu ne l'entends pas. Il n'y a que de la caillasse et des buissons. Le chemin permet le passage d'engins. Pour faire quoi ? Le pylône là bas, tu le regardes de travers : électricité ? Câble mécanique ? La carte te dit « ligne électrique », ligne fantôme oui ! deux pylônes, seulement quelques centaines de mètres, pas de constructions visibles, tu ne comprends pas.
« Pierres blanches ruines », « La Chabote », t'es dans un conte, le petit Pousset, le Chat Botté, un monde irréel, où seuls les rêves vivent. Tu lis ta carte comme un conte, où est l'histoire, le sens ? Isolé, sans téléphone, un GPS qui te donne des coordonnées impossibles à reporter sur la carte, tes « pierres blanches », tes petits cailloux, c'est le chemin que tu peux rebrousser. Mais la Chabote, un chat botté ? Peut être une chatte aguichante qui pourrais faire de toi un marquis, il faut avancer dans l'histoire de cette géographie, sans chercher le sens, tu le découvriras toujours...
Tu reprends ton sac, relance le vélo et t'arrêtes un peu plus loin. Plusieurs chemins, des indicateurs pour les GR. Deux randonneurs à pied sont là. Echanges d'où on vient et où on va. L'un m'indique que le chemin entre les deux « Tracol » est vraiment fun pour celui qui aime le VTT.
Le fun, c'est d'être arrivé en bas entier. Tu tombes deux cents mètres de dénivelés en moins d'un km dans un passage raviné étroit, tu sautes de pierres en pierres, de vraies marches, les freins bloquées, les roues chassent le gravier sur les dalles pentues. De dévers en dévers, de dérapages en soubresauts, tu te retrouves sur le chemin qui descend à Biguet. Tu poses le vélo et tu t'assois. Tes bras tremblent encore. T'avais jamais freiné si fort...Le mec qui t'a envoyé là, il avait juste rêvé de le descendre ce truc !
Finalement, t'avais pas besoin de ton carnet. Les souvenirs sont là, l'émotion de cette de cette descente folle te revient naturellement.
Ça t'allège ce souvenir. Tu vas pouvoir te mettre aux joints. Même si tu n'es pas l'as des carreaux !