Ciel, nuages, lumière, ombre, soleil, terre, eau, feu, liquide fluide, scintillement fragile, silence du vol, arbres crus,
chaumes immenses, oiseaux rares, et deux pas qui étouffent l’herbe. Comment se perdre dans un pays si civilisé ? En effaçant tes repères ! Finies les heures, finis les « à
faire », juste le souvenir de cet instant où tu es passé, et tu t’es dit : revenir, revoir, ressentir.
Comment se perdre ? En quittant la route, même s’il n’y passe personne ! En allant à droite dans la sente quand le chemin veut t’emmener à gauche.
Bien sur ça colle, bien sur ce champ est interminable, bien sur il n’y a que de la terre brute, celle des hommes qui la travaillent, et le ciel de cet hiver qui bascule sans cesse d’un temps à
l’autre. Une horloge de lumière qui se joue de l’ombre et des couleurs, réglée par une obscure stochastique. Tu es toujours surpris par l’événement, son ampleur, ou sa brièveté. Au moment où
tu veux dire : regarde ! L’image a disparu. C’est une autre, encore plus surprenante, ou simplement banale.
Pourquoi es-tu là, que cherches-tu suspendu au clair-obscur ? Quelle vie peut simplement être rythmée par le
mouvement de l’immobilité du lieu ?
La tienne, débranchée de la production, déconnectée de la valeur ajoutée. Tu as changé de montre, un quadrant sans division, des aiguilles asservies aux cils de tes paupières : tu clignes, elles avancent, tu regardes, elles se figent. Le temps tourne dans le vide. Du coup ton cœur ne sait plus sur quel rythme battre : quand tu regardes au loin, tendu au-delà des branches qui coupent ton horizon, ou cherchant dans le fil argenté de l’eau, la ligne invisible où la Bidouze se perd dans l’Adour, c’est un battement d’ailes qui l’accélère. Alors pour saisir l’instant tu déclenches.
31 janvier, tu t’approches du mur, décroches le calendrier, tu saisis la page, reproduction d’une aquarelle d’un arbre noueux foudroyé.
Pourquoi tourner la page ? Le calendrier d’un ton officiel t’annonce :
- De quel jour parles-tu gestionnaire du temps ? Je ne l’ai pas vécu ce jour que tu dis fini ! Je l’ai juste contemplé. Regarder le temps qui passe ça ne compte pas !
- Si, si tu l’as vécu ! Consulte ta conscience du temps, si elle te joue l’alzheimer, vois ton bloc notes
- Je n’ai rien écrit, j’ai juste regardé, photographié le ciel, les nuages, joué à cache-cache avec la lumière, espéré un vol d’oiseaux…
- Ça compte un, comme au Mikado ! Aussi léger que ton geste ait été, tout compte.
- Pourquoi un jour à contempler le ciel compte-il comme un jour travaillé ?
- Attends, je t’entends encore te plaindre, il n’y a pas si longtemps, des voleurs de temps, les chronophages. Tu disais des « voleurs de vie ».
Je t’ai rendu ton temps, je t’ai rendu ta vie !
Voir aussi: la Bidouze au bec du Gave